Il y a des noms qui sonnent comme un rappel à l’histoire, pour une meilleure compréhension du présent. Edmond Amran El Maleh est de cette connotation-là. Un nom à la tonalité profonde et authentique. Edmond El Maleh vient d’être décoré par SM le Roi Mohammed VI du ouissam Al Kafaâ (ordre du mérite), pendant la visite du Souverain à Essaouira, le lundi 16 février 2004. À son apparition à la télévision, lors de la cérémonie de remise des décorations, la silhouette amaigrie de l’octogénaire, un enfant d’Essaouira, a fait faire à ma mémoire, qui n’en fait qu’à sa tête, un flash back irrépressible. Cela m’a immédiatement ramené à un article de d’Edmond El Maleh, publié dans Les Temps Modernes, une revue de haute tenue philosophique et littéraire, en 1977.
Pourquoi?
C’était avant que que l’essayiste et romancier n’entame son œuvre, à partir de 1980. Un peu sur le tard, à l’âge de 63 ans, mais d’une valeur particulière qui touche à l’universel. L’article en question est intitulé “Juifs marocains et Marocains juifs”. Edmond El Maleh y expose la question de l’émigration des juifs marocains. Émigration qu’il déplore et qu’il essaie de comprendre à partir de quelques interrogations.
«Pourquoi, se demande-t-il, cette émigration massive, même si elle s’est échelonnée sur plusieurs années ? Pourquoi cette tragédie silencieuse, clandestine sous l’effet d’une censure inhérente à l’idéologie sioniste ? Tragédie, écrit-il, qui a failli effacer à tout jamais la présence juive en terre marocaine et qui, aujourd’hui encore, pèse gravement sur les chances d’une renaissance».
L’auteur cherche la réponse, il n’en trouve pas dans l’historicité doublement millénaire du judaïsme marocain. Il n’en trouve pas, non plus, dans une époque proche où la Résidence du Protectorat au Maroc était alliée au gouvernement raciste de Vichy, lui-même sous les ordres du nazisme hitlérien. Les juifs marocains n’ont subi ni déportation, ni exactions sur le sol marocain. “Aucun péril immédiat ou à venir, dit-il, ne menaçait l’existence des juifs.
“Même dans les circonstances les plus graves, lorsqu’en 1948, a été proclamée la constitution de l’État d’Israël”.
Déracinement
La réponse, Edmond El Maleh la trouvera dans l’action de l’Agence juive internationale et du mouvement sioniste aux ramifications mondiales. “Dans la conscience et la vie des Juifs, où qu’ils soient, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, et pour nous en tenir au seul exemple du Maroc, le sionisme a déferlé comme un véritable raz-de-marée”.
“Des populations entières, dont souvent les origines remontent à des millénaires, comme c’est le cas pour les villages du Haut-Atlas, ont été arrachées à leur terre natale, abandonnant tous leurs biens, leur métier, les mille et une choses qui font une vie. Aujourd’hui encore, on demeure confondu devant l’ampleur de ce mouvement”.
L’auteur met à nu la propagande sioniste qui invoque systématiquement l’antisémitisme, que celui-ci existe ou n’existe pas, et n’admet pas que l’on y trouve à redire. “L’intention évidente, écrit-il, est ici de justifier l’existence de l’État d’Israël, et sa politique annexionniste et impérialiste, par une campagne qui voudrait prouver que, contrairement à l’opinion communément admise, jamais les Juifs n’ont trouvé dans le monde arabe une terre amie, que jamais non plus ils ne pourraient se prévaloir d’être partie intégrante des nations arabes en question. Dans la stratégie du sionisme, c’est, on le conçoit, une pièce décisive, un enjeu déterminant”.
Le mot de la fin, sur ce déracinement culturel, Edmond Amran El Maleh l’exprime avec le sentiment de douleur d’un grand Marocain, le témoignage poignant d’un contemporain et la finesse d’un grand écrivain. “On ne peut se défendre d’un sentiment de tristesse, quand on constate aujourd’hui combien la présence juive s’est estompée, au point de disparaître, du paysage marocain.
Les grandes communautés de Tanger, Essaouira, Fès, Marrakech, Rabat, hier encore si prospères à tous points de vue, ne comptent plus que quelques dizaines de personnes contre des milliers auparavant.
Et encore, ne rencontre-t-on, le plus souvent que de vieilles gens, ombres furtives, caricaturales parfois, douloureux témoignage d’une présence qui ne peut être arrachée de la terre marocaine”.
Tout est dit, il y a vingt six ans révolus, par un Edmon Amaran El Maleh fidèle à ses idées, fermement attaché à ses racines. |
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