La musique Andalouse
La musique Andalouse
Les Marocains possèdent un patrimoine musical riche et ancien qu’on ne trouve nul part. Connu autrefois sous le nom de « Moussiqua al – âla », comme il préfère la nommer Mohamed El Fassi, ex- Ministre du 1er gouvernement marocain après l’indépendance et membre fondateur de l’association des amateurs de la musique andalouse du Maroc. Musique instrumentale sans doute pour la différencier de la musique vocale, à caractères religieux, où l’emploi d’instruments de musique est banni, à l’exception de ceux qui servent à accuser le rythme. Musique scientifique certes, elle est liée à la vie quotidienne et sociale des Marocains. Elle est présente dans leurs fêtes religieuses, nationales et privées.
ORIGINES
Ce patrimoine est aujourd’hui communément appelé At-tarab-al-andaloussi ou plus simplement Al-moussiqua-al-andaloussia , nom devenu utilisé à partir du protectorat.
On ne peut déterminer avec précision l’époque où la musique andalouse a fait son apparition au Maroc, les chroniques étant muettes à ce sujet, mais il est probable que les villes septentrionales du pays avaient connu cet art dès le début du dixième siècle, c’est à dire à l’époque où l’Espagne musulmane connaissait l’âge d’or de sa civilisation. Sa culture rayonnait alors, de toute son intensité, sur le monde occidental, et des esprits avides de savoir, venaient approfondir leurs connaissances ou perfectionner leurs talents artistiques. Ce patrimoine artistique s’est constitué à la faveur des vagues migratoires successives vers le Maghreb, jusqu’à la fin du 15ème siècle (1492, chute de Grenade et fin de la reconquista des rois catholiques).
Quoique n’ayant jamais été transcrite, cette musique a été conservé dans toute sa pureté et sa rigueur et transmise par une longue lignée de musiciens. Elle est inscrite profondément dans les cœurs et les âmes des fils de Fès, Tétouan, Rabat, Salé, Marrakech, Chefchaouen, Tanger, Oujda… elle imprègne toutes les couches sociales de la population et fait partie de la vie quotidienne.
La création de cette musique remonte à plus loin et à son inventeur, un musicien oriental extraordinaire nommé Ziryab, venu de Bagdad et installé à la cour de Cordoue en 822 (petit-fils d’un Emir rescapé du massacre des Omeyyades par les Abbassides). Il est à bagdad le disciple d’Ishaq El Moussili, maître de l’école des udistes. Jalousé de son maître, chantre incontesté de Bagdad et de Harroun Errachid. Ishaq l’avait obligé à s’expatrier.
Ainsi, naît la légende de Ziryab…
La légende Ziryab
Musique andalouse : la légende Ziryab
Ainsi, naît la légende de Ziryab de nom Abou-lhassan Ali Bnou-Nafii natif de 777 et de son luth d’argent auquel un ange aurait ajouté aux quatre cordes représentant les éléments naturels, une cinquième, celle de l’âme, en intestin de lionceau, puis faisant bonne mesure, aurait remplacé le vulgaire slecte de bois par un slecte affiné taillé dans une plume d’aigle.
Tous les chercheurs sont unanimes, l’arrivée de Zyriab a complètement changé l’histoire de la musique arabe dans l’Ouest du monde musulman. Arrivé à Cordoue, capitale des Omeyyades en 822, et ce après son histoire avec son professeur Ishaq ben Brahim Al Moussili.
Zyriab fonda à Cordoue un conservatoire où il donnait lui-même des cours, constitué de ses 10 enfants Abderrahmane, Abdellah, Yahya, Med, Kacem, Ahmed, Hassan, Alia et Hamdouna et aussi quelques disciples comme Motaa, Massabih, Ghislaine et Hnida. L’histoire dit selon Al-maqueri que Zyriab avait dix mille airs de musique et autant de poèmes, de plus il connaissait la géographie, la médecine et la philosophie. Il a rajouté de nouveaux modes pour créer ces 24 NOUBAS, qui régissent cette musique modale correspondant aux 24 heures de la journée. A chaque heure du jour et de la nuit correspond un mode de la musique andalouse.
Il légua ainsi à l’Andalousie un répertoire immense de chants que les générations se transmirent jusqu’à la période des Rois de Taifas. Cordoue, Séville, Valence en furent submergée, comme par un océan, et après leur prise par les chrétiens, cet art, par l’émigration, se répandit à Tlemcen, Tunis et Fès. Et c’est pour cette raison qu’il y’a différentes écoles.
L’école tunisienne est d’origine de Séville, l’école algérienne est d’origine grenadine et l’école marocaine est d’origine de Valence et Grenadine.
Au Maroc, la musique andalouse comprend un répertoire clairement esquissé depuis Kounach El Haik Tétouannais El Fassi de 1800 (natif de Tétouan). Il a édité son répertoire à Fès sous le règne de Sidi Mohammed Ben Abdellah Ben Smail Ben Moulay Cherif en 11 suites de chansons appelés « Noubas ».
Pour déterminer une nouba d’une façon plus précise, on lui ajoute le nom du mode de tonalité principalement employé pour exprimer tous les états d’âmes : nature, amour, ésotérismes, mysticisme, poésie, magie, madihs (hymnes à la gloire de Dieu et de son Prophète) ; thèmes généralement agréables et attachants, ce qui explique leur pérennité. Ainsi chaque nouba reposait sur un thème, adapté à l’heure où elle devait être jouée. La nouba d’ El-Oshak devait être jouée à l’aube, alors que la nouba d’El-Maya se joue au crépuscule.
Moussiqua al – âla à travers les siècles:
Sous la dynastie almoravide (1055-1147), la musique andalouse connaît une grande vogue au Maroc. L’histoire a conservé les noms de nombreux compositeurs tels Abu Bakr Ibn-Baja, Abu Houssain Ali Ibn Al Himara Al Gharnati et Aboul-Abbas- Al-Moursi…
Ibn-Baja était l’un des meilleurs musiciens de son époque, il vivait à Saragosse et était un proche de l’Emir Abu Bakr Ben Taflouite. Après la chute de Saragosse, Ibn-Baja est parti à Séville puis à Fès où il est mort en 1138…après avoir été ministre de Yahya ben Tachefine.
Avec l’avènement des Almohades (1147-1269), la musique tomba en désuétude, à cause du caractère puritain de leur doctrine. Ibn Toumert, fondateur de la dynastie, incitait ses partisans à détruire les instruments de musique. De telles mesures ont contraint cette musique à se cammoufler derrière les hymnes à la gloire de Dieu et de son Prophète Sidna Mohamed « que le salut de Dieu soit sur lui ».
Ces quantiques étaient composés sur des modes andalous et puisaient leur inspiration de la musique andalouse. Après la chute de plusieurs villes de l’Andalousie comme Saragosse en 1236, Valence en 1238 et Séville en 1248, beaucoup de personnes ont immigrés vers le Maroc en apportant un art musical enrichissant.
Sous les Mérinides 1269-1471 et le règne des Wattassides 1471-1554 et après la chute de Grenade, ainsi que les interventions armées des chrétiens sur le sol marocain, provoquant un mouvement nationaliste qui se traduit par une exaltation des sentiments religieux : le peuple met son espoir de libération dans une renaissance de l’islam.
De nombreux « Zaouïas » sont fondées, foyers d’enseignements du soufisme. La récitation et le chant des « madihs », cérémonies du « Dikr » font partie de cet enseignement tirent leurs éléments musicaux du riche répertoire andalou. Le chant religieux semble avoir prévalu sur le chant profane durant cette période, et ce qui a vraisemblablement encouragé ce phénomène c’est la cérémonie religieuse à l’occasion de la naissance du Prophète qui est devenue officielle au Maroc à partir de 1292.
De nombreux poètes se sont inscris dans le développement de ce chant, parmi eux, Malek bnou el Morahal, Bnou Kazmane, Checheteri, Lissane Dine Bnou El Khatib, Charaf Dine El Boussiri (écrivain du Barda et Hamzia).
Sous la dynastie Saadiens 1554-1659, le Maroc reprend sa force, ce qui a permis le développement de l’art et de la culture. Et c’est pendant cette période qu’on a assisté à la création des maouazines Addarj de la musique andalouse et de nouba de l’Istihlal vers 1570.
andalouse jouit d’un mécénat qui favorise de nouveau son épanouissement et permet l’éclosion de nombreux talents remarquables.
Des recueils de chants andalous font leur apparition ; le plus célèbre est celui de Mohamed Bnou Al Hassan El Haik, paru en 1800 : musicien érudit originaire de Tétouan et qui est resté, jusqu’au début du 20e siècle, la principale source de renseignements sur la musique andalouse. Un autre diwan, connu par le cahier du ministre Med Ben Larbi Jamai en 1885.
Pendant cette période, des grands Rois étaient parmi les fans de cette musique : Mohamed Ben Abdellah (1757-1789), Abderrahman Ben Hicham (1823-1859) et Mohamed Ben Abderrahman (1859-1873). Mohammed IV et Moulay Hassan I fondent respectivement à Fès et à Marrakech, des écoles qui dispensent, entre autres, l’enseignement de cette musique. La poésie de Melhoun progresse, ainsi la musique andalouse s’est enrichie surtout dans les suites musicales telles Ad-darj et Koddam par des Sanaat « Baraouil ».
Sous le règne de Mohammed V et Hassan II que Dieu aient leur âme en mésiricorde, on a assisté en la création de plusieurs associations, notamment celle des amateurs de la musique andalouse du Maroc en 1958 fondé par feu Hadj Driss Touimi Benjelloun où Feu S.M le Roi Hassan II a assisté à la soirée de sa création ainsi que plusieurs ministres et personnalités de culture de tous les coins du Maroc. Cette association continue à enrichir le monde de cette musique par un travail de fond sous la présidence de Driss Lemssefer (nous y reviendrons dans d’autres articles).
Les meilleurs musiciens connus pendant cette période sont : Hadj Omar Jaaidi (1873-1952) c’est lui qui était à la tête de l’orchestre marocain dans la première conférence sur la musique arabe du Caire en 1932. El faquih Med El-Brihi (1877-1944), grand musicien sur Rebbab, qui a fondé l’orchestre musical de Fès connu par son nom. El faquih Med Lamtiri (1876-1946), grand violonniste.
Haj Othman Tazi, Hadj Taib Ben elkahia, hadj Abdesslam ben Youssef, Abdesslam Khayati, Med Dadi, Med Mbirikou, Med Choika, My Ahmed Ouazzani, Ahmed Zniber, Med Barroudi, Abdelkader Kourich, Larbi Sayar…
Nous pouvons affirmer, que malgré tout, cette musique a conservé davantage au Maroc que dans les autres pays du Maghreb, son caractère original. En effet, le Maroc ayant échappé à la domination ottomane, alors que ses voisins l’ont subie pendant plus de trois siècles. De plus géographiquement, le Maroc très éloigné des foyers d’Orient, il a vécu, artistiquement, replié sur lui-même.
Musique andalouse : efforts déployés après l’indépendance
Comme tous les arts qui se transmettent oralement, la musique andalouse a dû subir, avec le temps, d’inévitables défaillances et altérations. Ainsi, à l’origine, le nombre des noubas était de 24, il n’en reste aujourd’hui que 11. Quelques-unes unes ont même perdu l’une des cinq parties ou mayazines dont elles se composent.
La musique andalouse marocaine continue à nos jours de se transmettre par voie orale. Des efforts louables ont été déployés depuis l’indépendance en vue de la sauvegarder, de la diffuser et de la mieux faire connaître.
La radiodiffusion et la télévision marocaine lui consacrent une heure de ses émissions quotidiennes.
Son enseignement est donné avec un prix dérisoire dans tous les conservatoires du pays.
De nombreux festivals lui ont été consacrés tant au Maroc qu’à l’étranger.
Le deuxième festival de la musique arabe a été organisé à Fès en 1969 sous la présidence de M. Mohammed El Fassi, à l’époque Ministre des affaires culturelles. La conférence a étudié les maouazines de cette musique et ses modes.
D’autres sont organisés à Fès, Chefchaouen, Assila, Oujda…
Un résumé du livre Alhaik a été édité par Haj Mhammed Benmallih en 1972 écrit par feu Ahmed ben Hassan Zouiten.
D’autres livres ont vu le jour, celui de M. Abdellatif Benmansour en 1977, celui de Haj Driss Touimi Benjelloun en 1981 alors Président de l’association des amateurs de la musique andalouse du Maroc et finalement celui de hadj Abdelkrim Raiss, chef de l’orchestre El Brihi de Fès.
Les 11 noubas sont actuellement enregistrés sur disque laser « Anthologie de la musique andalouse » du ministère de la culture. Ces 11 noubas sont joués par les grands maîtres de cette musique du fin du 20ème siècle, à savoir, hadj Abdelkrim Raiss, M. Mohammed Tamssamani, M. Ahmed Toud, M. Ahmed Zaitouni, M. Massano Tazi et M. Med Briouel.
Quatre des onze noubas sont transcrites en notation musicale par les professeurs Younès Chami et Mohammed Briouel, Directeur du conservatoire de Fès et chef de l’orchestre feu Abdelkrim Raiss.
Plusieurs associations sont nées pour organiser, faciliter l’apprentissage, améliorer l’exécution et en assurer la divulgation. Parmi celles qui sont toujours en évolution , l’Association des amateurs de la musique andalouse du Maroc, fondé en 1958, « feu SM Hassan II était présent lors de la soirée présidée par hadj Driss Touimi Benjelloun jusqu’à 1982 puis par hadj M’hammed Benmallih jusqu’à 1995 et maintenant elle est présidé par hadj Driss lemseffer. Elle a pu entre autre enregistré 8 noubas avec l’aide de l’UNESCO.
C’est quoi la NOUBA:
La musique andalouse, bien que reposante sur des règles très strictes, est une musique non écrite se transmettant oralement de maître à élève malgré quelques écrits en notation musicale.
La tradition de cette musique repose sur une forme stricte : la « nouba ».
La nouba de la musique andalouse marocaine se compose de cinq parties, dont chacune est accompagnée d’une formule de base rythmique ou mizane.
Ces parties sont également désignées par les noms de ces formes rythmiques dans l’ordre : Al-bassit (léger ou lent), Al-quaim-wa-necf (une battue et demie), Al-btayhi (allongé), Ad-darj (étape finale), et Al quoddam (en avant).Le nombre de noubas connus au Maroc sont au nombre de 11 et qui sont :
nouba raml-el-maya
nouba al-isbihane
nouba al-maya
nouba rasd-ed-dayl
nouba al-istihlal
nouba ar-rasd
nouba gharibat-al-houssine
nouba al-hijaz-al-kabir
nouba al-hijaz-al-machriqui
nouba irak-al-ajam
nouba al-ochak
Au début de chaque « mizane » se trouve le morceau instrumental dénommé « mshaliya » ou appelé « boughia » non lié à une forme rythmique.
La mshaliya a la fonction d’établir le mode principal mélodique sur lequel est basée toute la nouba et qui lui assure sa cohérence et son identité. Elle a pour but de mettre l’auditoire dans l’atmosphère affective de la nouba. Ensuite, on exécute la « touchiya » : ouverture instrumentale rythmée et qui sert à préciser par quel mizane va débuter le chant. On notera au passage que certaines « touchiyas » ont disparu du repértoire, et dans ce cas, le chant est entamé immédiatement après la boughia (exemple : btayhi raml al maya).
Le mizane passe par quatre phases constituées de san’at. La première est la chanson introductive « attasdira » ou aussi le « mouasaa » puis les chansons de la partie lente. Cette phase est marquée par son caractère lent imposant le début sérieux du mizane ; cette phase rebutante pour les profanes, renferme les joyaux du répertoire, ceux que les connaisseurs recherchent et exigent des orchestres. La san’at est souvent complété par des syllabes « Anana, yalalan, tiritay, nini, yalalan, taritan …, car souvent la phrase musicale est plus grande que la strophe.
La deuxième phase « al_mahzouz » ou « al-quantra » rythme relevé est une transition vers le rythme rapide.
La troisième phase est meublée par al-inshad ou à défaut par le mawal qui est une improvisation du chanteur le plus doué en voix et des instruments de mélodie.
Al-inshad est chanté par le monchid sans percussion : c’est une improvisation vocale rythmiquement non liée sur deux vers d’un couplet. Le chanteur utilise des syllabes dénuées de sens « ha-na-na » pour prolonger son improvisation.
La quatrième phase est « l’insiraf », c’est la phase allègre, rapide du mizane, celle que le large public affectionne.
Les san’at sont chantées par l’ensemble des musiciens de l’orchestre. Dans le chant ou dans la réplique instrumentale, chaque membre de l’orchestre donne à la mélodie son expression, sa virtuosité, à travers la vibration de ces cordes vocales et ses doigtés.
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